Approche sociolinguistique #
Nous aborderons ici avant tout la variété régionale standardisante de français, à savoir celle acquise comme langue seconde par des locuteurs malgaches dans un cadre scolaire ou extra-scolaire, par opposition à la variété régionale endogène (voir Différentes variétés de français), dont les locuteurs ne constituent qu’une très petite minorité à l’échelle des francophones de Madagascar.
1. Diglossie complexe #
La situation malgache est celle d’une diglossie complexe, où se superposent une diglossie langue coloniale/langue nationale et une diglossie plus ancienne et relativement stabilisée langue nationale/vernaculaires. On a donc une répartition fonctionnelle des usages respectifs du français, du malgache et des dialectes malgaches.
Notons que cette diglossie vaut essentiellement pour les milieux urbains. La population rurale, qui constitue 73% de la population du pays (ACDI, 2003), est massivement monolingue.
1.1. Usages institutionnalisés #
D’un point de vue constitutionnel, seul le malgache est reconnu comme langue nationale (Constitution malgache de 1998). Néanmoins, le français jouit en pratique d’un statut égal de langue officielle sur le plan institutionnel.
Les textes officiels de la République de Madagascar sont tous promulgués en malgache officiel et en français. L’administration nationale est bilingue, mais les administrations régionales fonctionnent avec le malgache comme langue de travail. Cependant, dès qu’il s’agit de rédiger un texte technique, l’utilisation du français s’impose, et l’on observe une tendance plus forte à rédiger en français dans les instances administratives centrales. La gestion au quotidien des collectivités locale se fait quant à elle en malgache, malgache officiel pour l’écrit, dialecte local pour l’oral. Dans la justice, l’usage du français est prédominant (Rambelo, 1991).
1.2. Culture et religion #
La religion, qu’elle soit chrétienne ou traditionnelle, se fait la plupart du temps en malgache officiel ou dans la variété locale.
La culture traditionnelle repose avant tout sur l’oral : proverbes, poèmes (hainteny) et éloquence (kabary). De ce fait, c’est unilatéralement le malgache, officiel ou local, qui est utilisé. Il existe par contre une littérature francophone malgache, mais elle est relativement minime.
1.3. Enseignement #
Le système scolaire est bilingue pour l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire. Une grande partie des cours sont donnés en malgache, le reste étant donné en français. Le français est à la fois objet et médium d’enseignement. Cependant, dans la réalité, les enseignants, que ce soit en primaire ou en secondaire, utilisent fréquemment le discours mixte, passant du français au malgache et inversément (Randriamasitiana, 2004). Ainsi, le cours est par exemple donné en français mais les explications complémentaires sont en malgache.
L’université par contre est entièrement francophone (même si le discours mixte y est également utilisé). Le baccalauréat lui-même contient une importante proportion d’épreuves en français. De ce fait, la connaissance du français est une obligation pour qui veut accéder aux études supérieures, ce qui perpétue l’existence d’une élite bilingue.
1.4. Médias #
Madagascar compte cinq grands quotidiens nationaux, tous bilingues. Cependant, il semble que la partie en malgache soit très réduite (1 page sur 16 à 24 pour Midi Madagasikara) par rapport à la partie en français, et souvent limitée à des faits divers. Cela s’explique aisément par la plus grande familiarité des francophones avec l’écrit (la culture traditionnelle malgache est orale - cf. ci-dessus). Midi Madagasikara, qui est apparemment le plus important de ces journaux, a un tirage quotidien de 21 000 exemplaires. Ces quotidiens sont apparemment essentiellement distribués dans les grandes villes de Madagascar. En outre, il existe aussi des journaux régionaux, voire ruraux, qui sont quant à eux majoritairement en malgache. Enfin, dans la presse spécialisée, le français est prédominant.
Il existe un certain nombre de chaines de radio. Deux chaines sont gérées par l’État, l’une émettant en malgache, l’autre en français, mais pendant une période horaire nettement plus réduite (3h en soirée). La majorité des émissions radiophoniques est en malgache. Cependant, la diffusion à l’échelle nationale est encore entravée par un nombre insuffisant de postes de radio (127 postes pour 1000 personnes en 1992, d’après le PNUD).
Il existe en outre au moins une chaine de télévision malgache, à laquelle s’ajoutent les chaines françaises que peuvent recevoir certains par satellite. Les programmes sur la chaine malgache sont essentiellement en français, s’agissant souvent des émissions étrangères.
Un certain nombre d’organismes malgaches sont présents sur internet. Les cinq quotidiens nationaux ont par exemple chacun leur site. Il en va de même pour les autres médias (radios, télévision), pour certaines entreprises, pour les universités et pour le gouvernement. Cependant, il est à noter que la très grande majorité de ces sites sont en français ou globalement en français avec une partie réduite de contenu en malgache. Par contre, dès que l’on entre plus profond dans ces sites et que l’on consulte les forums et chats, on observe que les visiteurs s’expriment majoritairement en malgache. En quelque sorte, la “vitrine” du site est donc en français, mais dès qu’il s’agit de discuter, cela se fait en malgache. Différents informateurs malgaches, interrogés sur le pourquoi d’une telle présence du français sur le web malgache, nous ont affirmé que c’était parce que ces sites ne visaient pas seulement les Malgaches, mais également les étrangers ou les Malgaches expatriés. De fait, le français est donc ici mis en avant de par sa valeur de langue internationale, comme moyen de communiquer avec l’étranger.
2. Représentations #
Les variétés de français présentes à Madagascar connaissent peu de reconnaissance comme variétés distinctes du français standard.
La variété la plus présente, que nous avons désignée comme variété standardisante, connait une forte légitimation, mais ses locuteurs sont persuadés de parler le français standard et ne conçoivent pas que leur usage puisse s’écarter de l’usage français.
La variété régionale endogène de français, héritée de francophones précoloniaux installés dans les régions côtières, est quant à elle soit niée, soit fortement stigmatisée, n’ayant aucune légitimation.