Description différentielle

Description différentielle du français parlé à Madagascar #

1. Différentes variétés de français #

Avant de pouvoir effectuer une description du français parlé à Madagascar, il importe d’établir quel français de Madagascar l’on va décrire. On se retrouvera en effet face à des réalités linguistiques très différentes selon que l’on aborde le français utilisé par les autorités nationales, celui de la presse régionale, celui des jeunes malgaches scolarisés en français ou celui utilisé par les Français installés à Madagascar. Il n’existe pas un français de Madagascar, mais différents usages et différentes « apparences » du français à Madagascar.

Il est particulièrement difficile de rendre compte des différentes variétés de français présente à Madagascar, tant une catégorisation de la variation linguistique correspond difficilement à la réalité des usages, multiples et complexes. Pour mieux saisir la variation dans le cadre malgache, on utilisera le concept de continuum, tel qu’il a été proposé par Bickerton (1973)1. En l’occurrence, on ne prendra en compte dans le continuum1 que les lectes apparentés au français, en excluant donc les variétés du malgache. Les lectes sont organisés selon une échelle, dont les deux pôles sont l’acrolecte (formes socialement valorisées) et le basilecte (formes socialement défavorisées), la zone intermédiaire étant le mésolecte. Ces distinctions nous permettent de regrouper quelques variétés notables en différents ensembles :

  • Référentiels linguistiques abstraits
    • Le français standard, idéal linguistique auquel font référence les ouvrages normatifs (grammaires, dictionnaires…) et les manuels scolaires auxquels les Malgaches ont recours. Dans les représentations de la plupart des Malgaches, ce français standard se confond avec le français de France.
    • Le français scolaire, autre idéal linguistique : la langue que devraient en théorie parler ceux qui achèvent leur scolarité.
  • Variétés acrolectales
    • Le français utilisé par le gouvernement et la haute administration2.
    • Le français de la presse nationale.
    • Le français de l’élite intellectuelle urbaine.
  • Variétés mésolectales
    • Le français de la population urbaine scolarisée.
    • Le français des administrations locales2.
  • Variétés basilectales
    • Le français parlé par les populations rurales peu scolarisées.
    • Le créole parlé par quelques groupes sociaux très restreints, originaires des Mascareignes.
    • Le français vernaculaire précolonial des malata (probablement disparu).

Cette proposition de catégorisation est - répétons-le - grossière, simpliste et loin d’être exhaustive, mais elle nous permet de cerner les variétés de français que nous aborderons. Étant donné leur quasi extinction, il parait peu pertinent d’évoquer les variétés basilectales que sont le créole et le français précolonial3. Quant aux populations rurales peu scolarisées, leur pratique du français est tellement limitée que sa description semble à exclure également. Nous nous concentrerons donc sur les variétés mésolectales et acrolectales sus-citées3, que nous aborderons comme un seul ensemble.

Une autre possibilité de catégorisation, basée cette fois sur l’acquisition, est de distinguer, à la manière de Cl. Bavoux (1993 et 2000a), la variété régionale endogène, dont les locuteurs, massivement originaires de la côte, ont vraisemblablement le français pour langue maternelle et qui peut être considérée comme une « variété interstitielle entre français, créole et malgache », et la variété régionale standardisante de ceux qui ont acquis le français en situation scolaire ou extra-scolaire. Ces locuteurs standardisants ont une tendance à sublimer la norme du français de France, et on observe chez eux, outre des phénomènes de calques et d’interférences comme pour toute variété en contact, des phénomènes d’hypercorrection ou de survalorisation du registre soutenu.

2. Prononciation #

On observe une simplification du système vocalique du français, qui tend à faire disparaitre certaines oppositions vocaliques dans certaines positions. Ainsi, /ɛ/ a tendance à être réalisé [e], /o/ est réalisé [ɔ] et /a/ est prononcé [ɑ], dans certains mots du moins. De même, certaines oppositions consonnantiques du français s’effacent. C’est le cas des couples /ʒ/ - /z/, /ʃ/ - /s/, dont les phonèmes sont souvent confondus par les locuteurs malgaches. Enfin, le schwa est parfois réalisé [e].

La prosodie des régiolectes français de Madagascar a été peu étudiée. Elle varie en outre selon la région de Madagascar dont est issu le locuteur. On peut néanmoins mentionner une tendance à l’allongement de la première syllabe, suivi d’une accélération de débit caractéristique.

3. Syntaxe #

Cl. Bavoux (1993) relève différents écarts du point de vue de la syntaxe. D’une part des écarts qui sont probablement d’origine intrasystémique, selon le principe de fonctionnalité proposé par G. Manessy, de telle sorte qu’on les retrouve également des d’autres variétés régionales du français. Citons entre autres :

  • Construction pronominale de certains verbes (se divorcer).
  • Annulation de l’obligation formelle d’emploi du subjonctif
    • « Il n’est pas exclu que les trois types d’accords : restrictifs, libéralisés et partiellement libéralisés peuvent co-exister » (L’Express de Madagascar, 4 janvier 2006).
    • Mais aussi hypercorrection : « En tout cas, ce n’est vraisemblablement pas ainsi que le président, lui non plus, conçoive le développement. » (Madagascar Tribune, 4 janvier 2006).

En outre, on observe des écarts qui sont manifestement des interférences du malgache. En particulier, les règles de la concordance des temps sont régulièrement enfreintes. D’après Cl. Bavoux, cela « relève peut-être d’un type d’énonciation propre au locuteur malgache, explicable seulement à partir de sa perception de l’acte d’énonciation. Tout se passe comme si la position du locuteur par rapport à son énoncé, autrement dit le temps du locuteur, n’était pas déterminé une fois pour toutes, mais changeait en cours d’énoncé. » Nous en avons relevés différents exemples dans la presse nationale :

  • « De région en région, les salles ont été pleines à craquer et ont eu une grande affluence dès que le film est à l’affiche. » (Madagascar Tribune, 6 janvier 2005).
  • « Deux cyclistes en tandem sur une même bicyclette ont eu un accident le 1er janvier. Celui qui a pédalé est mort sur le coup. » (L’Express de Madagascar, 4 janvier 2006).

4. Lexique #

[Cette partie n’a finalement jamais été développée. Voir les références essentielles dans la Bibliographie pour plus d’informations sur le lexique du français à Madagascar.]


  1. Pour l’explication du concept de continuum, voir le site de Marie-Christine Hazaël-Massieux sur les créoles↩︎

  2. « Il faut rappeler que, selon la Constitution, la R[épublique] d[e] M[adagascar] est unitaire et décentralisée. En d’autres termes, l’État est organisé en [d’une part] un pouvoir révolutionnaire unique à l’échelle de la Nation, [et d’autre part] des collectivités décentralisées qui exercent à leur niveau les activités et les fonctions concourant au développement de la Nation. » (Rambelo, 1991). ↩︎

  3. Cl. Bavoux, dans sa Contribution à un inventaire des particularités lexicales [du français de Madagascar] (2000), analyse certains mots du français précolonial. Néanmoins, ces particularités ne nous semblent pertinentes que si l’on souhaite aborder le français à Madagascar également dans sa diachronie, ce que nous ne chercherons pas à faire ici. ↩︎