Généralités

Généralités sur la situation géolinguistique de Madagascar #

1. Historique de l’implantation du français #

1.1. Présence française depuis le XVIIe siècle #

Dès 1642, des commerçants-voyageurs français s’installèrent à Madagascar, plus précisément à Fort-Dauphin (actuellement Tolagnaro), puis à Sainte-Marie, pour le compte de la Compagnie des Indes. Ils eurent quelques échanges avec les Malgaches, comme le note H. Deschamps : « Les Malgaches de la côte Est avaient fréquenté les Français et nombre d’entre eux parlaient un peu leur langue »1 (cité par Ranaivo, 1979). Plus tard, tandis que ces postes furent abandonnés par le gouvernement français, Madagascar devint un repère de pirates et de proscrits, parmi lesquels des Français. On comptait aussi quelques commerçants francophones ou créolophones (originaires des îles voisines : Maurice, Réunion…). Certains s’y installèrent et s’intègrèrent à la population locale. Émergea alors une petite population métisse, les malata, qui constituèrent au fil des années des foyers relativement stables de francophonie.

Au début du XIXe siècle, sous l’impulsion du souverain Radama Ier, Madagascar s’ouvrit véritablement aux influences européennes. Des missionnaires anglais (protestants) et français (jésuites) arrivèrent sur l’île et y ouvrirent des écoles. Les jésuites inculquaient le français et le catholicisme, principalement aux Malgaches de la côte, tandis que les Britanniques enseignaient la Bible en malgache, surtout dans la région du centre (Hautes Terres)2. En 1820, l’enseignement fut confié par le roi exclusivement aux missions étrangères. « En 1826, Antananarivo et les environs compt[ai]ent 30 écoles où l’anglais et le malgache étaient les langues d’enseignement. » (Ramavoarisoa, 1985).

Cette forte influence européenne se heurta néanmoins à de nombreuses rivalités. La reine Ravalona, qui succédait à Radama, s’opposa fermement à l’influence européenne, interdisant la scolarisation et la christianisation. Au cours des règnes suivants, les relations avec l’Europe furent fluctuantes, « jusqu’à ce qu’un ensemble de circonstances décident la France à lancer une opération de colonisation militaire[,] qui sera vécue par les Français comme une oeuvre civilisatrice dans la droite ligne de l’action missionnaire » (Bavoux, 2000a).

1.2. Colonisation #

La France colonisa Madagascar en 1895. Le général Gallieni, qui gouverna l’île de mains de fer à partir de 1896, prit des mesures pour franciser la population. L’enseignement du français fut imposé dans toutes les écoles publiques, et bientôt également dans les écoles privées. Le malgache fut interdit à l’école, confiné dans ses fonctions de langue vernaculaire. La connaissance du français devint une condition indispensable pour travailler dans l’administration. L’installation de l’Alliance française et de la Mission laïque française renforça encore cette politique, qui cherchait à « civiliser et unifier au travers du français ». Les résultats de la politique de francisation furent cependant mitigés, entre autres à cause de l’immensité de la tâche dans les régions rurales et des résistances politiques malgaches.

Progressivement, le français a acquis un rôle de sélection, sa connaissance entrainant étant obligatoire à la promotion sociale des individus. Comme l’explique A. Ramavoarisoa (1985), « la seule manière de réussir, c’est de s’instruire, c’est-à-dire apprendre le français, comprendre les Français et lire leurs livres ». Cela accélèrera sensiblement les clivages entre populations rurales et élites bilingues urbaines.

1.3. L’indépendance et la question de la malgachisation #

Madagascar devient indépendante en 1960. La Première République suit le modèle français, en cherchant plus particulièrement à associer les populations rurales à l’effort de développement, en particulier à travers l’enseignement, « mais on s’apercevra vite que l’école de la République malgache, copie de l’école coloniale, est inapte à socialiser et à scolariser les populations issues des milieux populaires » (Bavoux, 2000a).

S’en suit en 1972 un soulèvement à revendications nationalistes de la population scolaire et estudiantine d’origine rurale et petite bourgeoise. L’hostilité populaire à l’égard de l’héritage colonial pousse le gouvernement à lancer le mouvement de malgachisation. Le français est remplacé par le malgache comme langue d’enseignement, et les contenus sont recentrés sur Madagascar.

Cependant, cette malgachisation de l’enseignement n’a pas atteint l’objectif qu’elle visait, au contraire : elle n’a fait qu’accentuer l’écart entre les enfants des milieux défavorisés, n’ayant pas d’autre accès au français que l’école, et ceux de la bourgeoisie urbaine francisée. À partir de 1985, le processus de malgachisation a été arrêté et on en est revenu progressivement à une réintroduction du français comme langue d’enseignement (1990 pour le secondaire, 1992 pour le primaire). L’implantation du français est donc en augmentation depuis la fin des années 80 (Babault, 2001).

2. Langues en présence à Madagascar #

2.1. Le malgache, langue nationale #

Une des spécificités de la situation du français à Madagascar, par rapport à nombre de pays d’Afrique par exemple, est que, face au français, il y a une langue véhiculaire, nationale, officielle et relativement standardisée : le malgache. Le malgache appartient à la famille des langues austronésiennes : elle fut importée à Madagascar par les émigrants indonésiens qui peuplèrent l’île aux alentours des IV e - VIIe siècles de notre ère (Fugier, 1999).

Le malgache connait en réalité un certain nombre de variétés géographiques à travers Madagascar. C’est la variété merina, parlée dans la région d’Antananarivo, qui a été retenue comme langue nationale et officielle par le pouvoir. Il est difficile d’établir précisément les contours de ces « dialectes » malgaches et leur importance réciproque. L’intercompréhension est en général possible, quoique difficile dans certains cas. En effet, autant certaines variétés sont très proches et partagent une grande partie de leur vocabulaire de base, autant d’autres sont à la limite de l’intercompréhension.

Si le merina jouit aujourd’hui d’un statut officiel et national, c’est dû à l’entreprise d’unification du pays menée au début du XIXe siècle par le roi merina Andrianampoinimerina, puis à celle de standardisation du malgache par son fils, Ramada Ier. Celui-ci demanda aux missionnaires britanniques et français de donner une écriture au malgache ; les règles de transcription en alphabet latin furent arrêtées par décret en 1823. Les années qui suivirent virent l’apparition de grammaires et dictionnaires, ainsi que d’une traduction de la Bible en malgache.

Nous verrons quelles conséquences ce statut du malgache a sur la situation du français et quels usages il recouvre.

2.2. Le français : entre importation, implantation et superposition #

L’expansion du français à Madagascar s’est faite de façon hybride. D’une part, il y a eu une importation par des colons venus habiter l’île aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais ce fut dans des proportions beaucoup plus réduites que les colonies de peuplement des Mascareignes (Réunion, Maurice) et d’Amérique du Nord. En outre, la présence actuelle du français à Madagascar tient très peu à cet héritage, les descendants de ces premiers colons s’étant pour la plupart intégrés aux populations locales.

Dans un deuxième temps, le français a été répandu par les missionnaires au XIXe et par les colonisateurs au XXe siècle. On est ici dans un cas d'implantation, mais qui par certains aspects se rapproche d’un cas de superposition. D’une manière semblable à ce qui s’est passé en Afrique subsaharienne, le français a été introduit par les Français auprès des élites locales, à commencer par les souverains merinas, puis à travers un enseignement à la population. Puis, avec la colonisation, cet enseignement en français s’est généraliser à l’ensemble du territoire. Le français est investi dès son arrivée d’un prestige social par rapport au malgache. Cette voie d’implantation explique aussi pourquoi le français est actuellement présent essentiellement dans les villes, alors qu’il a du mal à percer à travers les campagnes.

En outre, on trouve aussi certaines caractéristiques d’une expansion par superposition. En effet, le français n’était pas en mesure d’effacer la langue locale, le malgache, qui jouissait d’un statut de véhiculaire officiel à l’échelle de Madagascar. Certaines fonctions sont donc toujours assumées prioritairement par le malgache : véhiculaire national, langue du foyer, de la religion et de la culture traditionnelle, etc. Il est d’ailleurs notable que, contrairement à un certain nombre de situations d’Afrique Noire, le français n’a connu à Madagascar pratiquement aucune vernacularisation. En revanche, le malgache n’a un statut de véhiculaire qu’à l’intérieur du pays et il n’a quasi aucun poids à l’échelle internationale : le français a donc totalement pris en charge la fonction de langue d’échange avec l’étranger. Actuellement, l’importance de l’utilisation du français (par le gouvernement, dans les médias, etc.) est souvent justifiée entre autres par sa valeur de langue internationale.

2.3. Autres langues #

En dehors du français et du malgache, aucune langue n’est présente au niveau national. Tout au plus peut-on mentionner certains isolats qui entretiennent l’usage d’une langue tierce : la communauté créolophone des Indiens sunnites sourti à Tamatave par exemple.

L’anglais est très peu connu à l’échelle du pays ; son utilisation se limite aux milieux du tourisme et du commerce international3.

3. Aperçu statistique de la situation du français #

En l’absence de recensement officiel, il est particulièrement mal aisé de donner des chiffres sur le nombre de francophones que l’on trouve à Madagascar. En outre, les différentes estimations que l’on peut trouver dans la documentation varient considérablement selon les définitions qui se trouvent derrière le terme « francophones ». Nous nous baserons ici sur les distinctions utilisées dans l'État de la francophonie dans le monde, à savoir : francophones réels (parlant couramment et quotidiennement le français), francophones occasionnels (ayant un usage limité du français, tant au niveau qualitatif que quantitatif) et francisants (ayant étudié ou étudiant le français) (Breton, 1996).

Cl. Bavoux (1993) estime entre 20.000 et 30.000 les francophones réels, en se basant sur les chiffres du consulat français et des écoles françaises. Elle évalue ensuite à 2 à 3 millions le nombre de francophones occasionnels et francisants. Pour ce faire, elle tient compte du nombre de scolarisés et des taux de fréquentation scolaire. Notons cependant que ces estimations, datant de 1993, sont largement obsolètes, surtout au vu de l’accroissement de la population malgache (18,5 millions en 2005 [source : UNFPA] contre 11 millions en 1993 [source : FMI]).

G. D. Randriamasitiana (2004) cite quant à lui les estimations du Haut Conseil de la Francophonie pour 2003 : « 88.000 (0,57 % de la population) pour les francophones et 2.452.000 (15,82 %) pour les francophones partiels ».


  1. Il ne s’agit bien sûr ici que d’échanges extrêmement limités, sans doute uniquement commerciaux. De ce fait, on peut supposer que certains Malgaches parvenaient à communiquer avec les Français avec quelques mots de français, mais il ne faut pas y voir une réelle implantation du français pour autant. ↩︎

  2. Le milieu royal est à cette époque plus proche des Britanniques. « Il se crée une élite de culture anglo-merina qui se francisera pendant la période coloniale sans pour autant renoncer à ses attaches avec le protestantisme britannique. » (Bavoux, 2000a). ↩︎

  3. Ce texte a été écrit en 2006, sur base de sources académiques antérieures. Cette affirmation n’est très probablement plus vraie aujourd’hui (note ajoutée en 2020). ↩︎